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Question écrite concernant l'évolution du taux de suicide durant la crise de Covid-19.

de
Hasan Koyuncu
à
Elke Van den Brandt et Alain Maron, membres du Collège réuni en charge de l'action sociale et de la santé (question n°234)

 
Date de réception: 12/10/2020 Date de publication: 11/01/2021
Législature: 19/24 Session: 20/21 Date de réponse: 03/12/2020
 
Date Intitulé de l'acte de Référence page
26/10/2020 Recevable p.m.
 
Question    La crise du Covid-19 a eu un impact sur la santé mentale et sociale des Belges. "On observe par exemple que 8 % des personnes de 18 ans et plus ont indiqué qu'elles avaient sérieusement pensé à mettre fin à leur vie au cours des 3 derniers mois, et 0,4 % ont même tenté de le faire", ressort-il d'une enquête de Sciensano réalisée auprès d'un échantillon de 34.000 personnes.

Alors que toutes les crises ne font pas forcément augmenter le taux de suicide dans la population concernée, les crises sanitaires sont parmi celles qui renferment ce potentiel. Par exemple, la grippe espagnole avait fait grimper le taux de suicide aux Etats-Unis. Plus récemment, à Hong Kong en 2003, l'épidémie de SRAS avait entraîné une forte progression des suicides chez les personnes âgées, dont notamment une augmentation de 15% dans la catégorie d’âge de plus de 65 ans. La peur d'être contaminé-e, de représenter une charge pour sa famille et surtout l'isolement sont énumérés comme causes essentielles.

En France, des experts mettent actuellement en garde que la deuxième vague du Coronavirus pourrait mener à une vague de suicides, en raison des conséquences indirectes de la crise sanitaire, de la dégradation de la situation économique, de la perte d’emploi et du risque de précarisation de la population active.

Dans ce contexte, j’aimerai poser les questions suivantes :

1. Les données relatives aux suicides à Bruxelles déjà disponibles pour l’année 2020 montrent-elles une hausse par rapport à la même période des années précédentes ?

2. Dans l’hypothèse d’une augmentation du taux de suicide, quels segments de la population sont les plus touchés ?

3. Quel est le bilan des numéros d’urgence d’aide psychologique comme TÉLÉ-ACCUEIL, PRÉVENTION SUICIDE, etc..
 
 
Réponse    Concernant votre première question :

Le dénombrement du taux du suicide est une problématique très complexe a objectiver.

Votre question en fait l’état, lorsqu’on aborde ce sujet et les chiffres qui y sont associés, il faut en distinguer trois composantes :
1. Les pensées suicidaires : c’est-à-dire les personnes qui ont pensé à mettre fin à leur propre vie sans passer à l’acte. Effectivement, au-delà de l’étude de sciensano que vous mentionné, beaucoup d’acteurs de terrain affirment que ce phénomène d’idéations suicidaire serait en augmentation ces derniers temps, en lien avec le confinement et la pandémie liés au Covid-19.
2. Les tentatives de suicide, acte auto-agressif destiné à mettre fin à sa vie mais auquel la personne survit. Au même titre que pour les idéations suicidaires, de nombreux acteurs de terrains œuvrant dans le champs de la santé mentale témoignent du fait que les tentatives de suicide seraient en augmentation, à cause du Covid-19 et des mesures sanitaires qui y sont associées.
3. Les suicides, la même ressenti est avancée aussi en ce qui concerne la pandémie liée au Covid-19, mais il est encore trop pour le confirmer car nous n’avons pas les chiffres.

Le parquet, en charge de dénombrer et d’évaluer annuellement le nombre de suicide, possède des bases de données issues de leurs enquêtes judiciaires et ces chiffres sont parfois utilisés par les médias, mais ces données doivent faire l’objet d’analyse afin d’avérer les cas de suicides.

Les chiffres utilisés en Belgique sont des données issues des bulletins statistiques de décès, qui sont des formulaires obligatoirement remplis à chaque décès sur le territoire belge.

Il s’agit des documents officiels utilisés pour signaler chaque décès et sur lesquels le médecin attitré mentionne la cause du décès.

On peut dire que ces bulletins constituent la source d’information la plus exhaustive sur le nombre de suicides.

Mais il convient de relativiser cette exhaustivité, car dans un certain nombre de cas, les données des bulletins peuvent sous-estimer ou surévaluer le taux de suicides pour différentes raisons, notamment le fait qu’il n’est pas toujours évident de déterminer de manière exacte s’il s’agit d’un suicide, d’un accident ou d’un meurtre.

Par exemple, certains accidents mortels de la route peuvent être des suicides sans que l’on en ait, après évaluation, la certitude absolue.

Il paraitrait aussi que certaines familles préfèrent éviter que le décès d'un proche soit déclaré officiellement comme un suicide, et préfèrent le déclarer comme un accident.

En ce qui concerne la Région bruxelloise, les bulletins sont recueillis et analysés par l’Observatoire bruxellois de la Santé et du Social, service d’études de la Commission communautaire commune.

Pour des raisons liées au processus de certification et de collecte des causes de décès qui prend du temps, ces données sont disponibles avec un décalage de 2 à 3 ans.

Donc il est encore impossible de se prononcer objectivement sur le taux de suicide de l’année 2019 et de l’année 2020.

Les principales étapes indispensables avant la publication de ces données sont notamment:
- Le remplissage du formulaire par le médecin certificateur ;
- Son envoi-réception à l’Etat-civil de la commune de décès, pour vérification et ajout des données sociodémographiques ;
- Son envoi-réception à la COCOM (Observatoire) ;
- L’encodage de ces données dans une base de données annuelle ;
- La vérification et la correction des erreurs ou d’information manquantes ;
- Et surtout, pour la mort non naturelle comme les suicides, les crimes ou les accidents, il faut une enquête du parquet ou une autopsie pour confirmer la cause exacte du décès.
- Finalement, la base de données est vérifiée, nettoyée et analysée par l’Observatoire, et les résultats sont publiés avec un décalage raisonnable de deux ans.

En 2017, le taux de mortalité (standardisé pour l’âge : pop de référence EU 2013) par suicide en Région bruxelloise est de 13,2 décès pour 100 000 habitants (18,3/100 000 pour les hommes et 9,2/100 000 pour les femmes).

Ce taux est inférieur à celui de la Belgique (15,4/100 000 pour l’ensemble, 23,0/100 000 pour les hommes, et 8,6/100 000 pour le femmes).

Les taux de suicide à Bruxelles fluctuent d'une année à l'autre, mais globalement, la tendance est à la diminution, aussi bien chez les hommes que chez les femmes.

Depuis 1998, le taux de suicide à Bruxelles a été réduit de près de la moitié, passant de 22,5 à 13,2 décès par suicide pour 100 000 habitants en 2017.


En ce qui concerne votre deuxième question: cette diminution est plus marquée chez les hommes que chez les femmes.

Le taux de mortalité par suicide des bruxellois est deux fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes.

A Bruxelles, le nombre de décès par suicide chez les jeunes de moins de 20 ans est nettement moins important, et dans cette tranche d’âge le taux de suicide est resté constant durant toute la période analysée par l’Observatoire du Social et de Santé.

Les taux de mortalité par suicide augmentent avec l’âge, chez les hommes et chez les femmes.

Les hommes de 75 ans et plus présentent une prévalence particulièrement élevée (il convient de souligner que le dénominateur dans un groupe d'âge avancé est plus petit par rapport aux autres groupes d’âges).

Rien nous garantit à ce jour que ces observations seront pertinentes pour les années 2018, 2019 et 2020.


En ce qui concerne votre troisième question :

Le Directeur de Télé-Accueil nous fait savoir que depuis le mois de mars, on peut dire qu’on a observé une augmentation importante du nombre d’appels et beaucoup d’entre eux seraient liés à la crise.

Au mois de mars, il y a eu une augmentation de 15 à 20 % du nombre d’appels par rapport aux chiffres habituels.

Environ 40 % des appels concernaient le Covid et au mois d’Avril, c’était 50 % des appels qui concernaient le Covid.

Les motifs restent variés, entre autres le confinement, la peur de la contamination, les craintes, l’angoisse, l’isolement reviennent plus régulièrement.

Le profil des appelants est très varié, et la moyenne d’âge est située entre 40 et 60 ans, mais ils reçoivent évidemment un peu de tous les âges et de tout profil.

Depuis l’arrivée du Covid, ils ont constaté une modification du profil des appelants.

Ce sont surtout des usagers sans autres antécédents de fragilité ou de contacts avec le centre.

Comme télé-accueil est généraliste et ne travaille pas spécifiquement sur la question du suicide, il n’a pas de chiffres liés aux suicides ou aux tentatives de suicide.

Concernant le Centre de Prévention du Suicide, la directrice nous précise que leur ligne 0800 32 123 est très sollicitée, qu’il y a plus d’expression de forte détresse dans les appels qu'avant la crise et qu’il n’y a presque pas d'interruption entre les appels.

Les bénévoles ont ressenti une forte augmentation des appels durant le confinement, ainsi qu’une intensité accrue des échanges.

Cette intensité a été également ressentie par les psychologues accompagnant la crise suicidaire lors des consultations avec patients, même s’ils n’ont pas constaté une augmentation des demandes de consultations.

En termes de bilan, le CPS n’a malheureusement encore aucune statistique pour l’année 2020, les écoutants qui se relaient à la permanence téléphonique du centre ont constaté une tendance à la hausse des appels mais cela reste empirique, ce n’est pas encore objectivé par des chiffres.

Mais il semble assez évident que la situation de confinement renforce le stress, la peur et la sensation de solitude chez les personnes déjà isolées.

Par ailleurs, les questions de certaines personnes en crise sont plutôt liées au coronavirus.

Dans ce cas, elles sont orientées vers le 0800/14.689, la ligne publique créé afin de répondre aux interrogations des citoyens liées au Covid-19.

Comme pour Télé-accueil, l’isolement est fréquemment cité par le CPS comme raison principale de l’appel, mais les deux centres rappellent que le suicide est multifactoriel et ne peut pas se résumer en un seul facteur de risque et qu’il doit faire l’objet d’une attention particulière dans l’ensemble de nos structures d’aide et de soin car nous risquons une augmentation du nombre de passages à l’acte.