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Question écrite concernant l'annulation de l’approbation du bail emphytéotique du Théâtre Le Public.

de
Alexia Bertrand
à
Bernard Clerfayt, Ministre du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale chargé de l'Emploi et de la Formation professionnelle, de la Transition numérique, des Pouvoirs locaux et du Bien-Être animal (question n°1000)

 
Date de réception: 28/03/2022 Date de publication: 05/08/2022
Législature: 19/24 Session: 21/22 Date de réponse: 03/08/2022
 
Date Intitulé de l'acte de Référence page
11/07/2022 Recevable p.m.
 
Question    Le 10 septembre 2020, le Conseil communal d’Uccle lance un appel pour octroyer un bail emphytéotique concernant un bâtiment situé place Homère Goosens. Le Conseil précise cependant certaines conditions, comme par exemple le fait que le projet devra respecter une « affection urbanistique d’équipement d’intérêt collectif ou de service public de type culturel et récréatif (…) ».

Le 23 février 2022, le Collège ayant réceptionné quatre dossiers de candidatures, désigne le théâtre Le Public. Ce projet était en effet le meilleur en termes de rénovation prévue du bâtiment abritant actuellement la Justice de Paix, ou en en termes de création d’emplois et de dynamique pour le centre d’Uccle. Cette décision du Collège d’attribution du bail au théâtre Le Public n’a fait l’objet d’aucune remarque de la tutelle.

Pourtant, Monsieur le Ministre, le 17 mars 2022, vous avez pris la décision d’annuler par arrêté la délibération du Conseil communal d’Uccle laquelle approuvait le bail emphytéotique. Ceci est d’autant plus surprenant qu’à ma connaissance, hormis un seul conseiller communal, personne n’a introduit de recours contre la décision du Conseil. De plus, les conditions étaient très clairement mentionnées dans l’appel à candidatures et approuvées tant par le Conseil que par la Tutelle.

Au vu de ces éléments, Monsieur le Ministre, je désire vous poser les questions suivantes :

  • Que justifie votre décision d’annuler la délibération du Conseil communal d’Uccle fixant l’attribution du bail au théâtre Le Public ? La décision rendue est-elle ferme et définitive ?

  • Quelles sont les conséquences de votre décision sur le Théatre Le Public et quel message envoyez-vous aux institutions culturelles ?

  • Quels ont été vos échanges avec la Commune d’Uccle et plus particulièrement avec le Conseiller communal qui a introduit l’unique recours ?

 
 
Réponse    En vertu de l'article 10 de l’ordonnance du 14 mai 1998 organisant la tutelle administrative sur les communes de la Région de Bruxelles-Capitale, le Gouvernement peut annuler par arrêté l'acte par lequel une autorité communale viole la loi ou blesse l'intérêt général et ce, que cet acte ait fait l’objet d’une plainte ou non.



En l’espèce, la délibération du 27 janvier 2021, par laquelle le conseil communal d’Uccle approuve les conditions du bail emphytéotique entre la Commune d’Uccle et la société anonyme « H », a été annulée car elle est contraire au principe de bonne gestion, viole la loi et lèse l’intérêt général.

Et ce, pour les raisons suivantes :

Premièrement, concernant les conditions du bail emphytéotique.

Le bail emphytéotique approuvé par le conseil communal d’Uccle est conclu avec la société anonyme « H ». Or, le projet soumis par le théâtre « Le Public » ne fait mention que du théâtre « Le Public » et non pas de la société anonyme « H ».

Le bail comporte également des conditions nouvelles à celles qui avaient été initialement approuvées par la décision du conseil communal du 10 septembre 2019 déterminant les conditions de l’appel à projet. Ces conditions sont également de nature à avantager la société anonyme « H » au détriment de la Commune.



Ces conditions nouvelles peuvent être résumées comme suit:
- L’appel à candidatures prévoyait un bail emphytéotique d’une durée de 30 ans, prolongeable en fonction du projet.
La durée du bail avec la société anonyme « H » est portée à 50 ans sans que l’allongement de cette durée soit justifié ;


- Le bail emphytéotique prévoit une exception à la clause d’exonération des vices cachés permettant, en cas de pollutions des sols découvertes dans les deux ans suivant la signature du contrat de bail, la résolution du bail emphytéotique ainsi qu’une indemnisation du préjudice subi par l’emphytéote.
Une telle clause entrainant la résolution du contrat de bail et l’indemnisation de l’emphytéote et notamment des constructions déjà réalisées entraine une insécurité tant juridique que financière pour la Commune ;



- Une clause du bail prévoit la diminution du canon à concurrence d’un maximum de 15 % de son montant et ce, durant 22 ans dans l’hypothèse où l’emphytéote n’obtiendrait pas une augmentation des subsides alloués par la Fédération Wallonie Bruxelles.
Le bail prévoit dès lors la réduction du canon annuel en faveur d’une société anonyme dans l’hypothèse où une asbl, tierce au contrat d’emphytéose, n’obtiendrait pas l’augmentation de ses subsides. Non seulement, la Commune ne justifie pas financièrement de l’utilité de cette diminution du canon mais cette
diminution pourrait être considérée comme un subside déguisé ;




- Une autre clause prévoit le rachat par la commune des plans, projet et études de stabilité à l’emphytéote afin d’en acquérir tous droits permettant de réaliser le projet architectural et ce, dans l’hypothèse où l’emphytéote se voit refuser le permis d’urbanisme.
Le théâtre « Le Public » s’est porté candidat à l’appel à candidatures pour le bail emphytéotique, a volontairement engagé des coûts dans la soumission de son projet et il n’appartient pas à la Commune de dédommager un candidat dans l’hypothèse où son projet n’est pas réalisable. De plus, l’appel à candidatures visait à développer des activités culturelles et/ou récréatives dans l’ancien bâtiment de la Justice de Paix d’Uccle et non pas précisément à l’aménagement d’un théâtre.




L’article 8 du bail prévoit l’octroi d’un droit de préemption ou d’une option d’achat à l’emphytéote, et que « pour déterminer le prix de vente, la Commune tiendra compte de l’état d’avancement du remboursement par la S.A. « H » des annuités de l’emprunt qu’elle a contracté pour la réalisation des travaux à l’emphytéose ».
L’emphytéose étant un droit réel démembré, en cas de vente du bien, la Commune ne pourra vendre que le tréfonds.




De plus, en vertu de l’article 3.172 du code civil, si l’emphytéote acquiert ou réalise des ouvrages ou plantations, librement ou sur obligation, celles-ci sont sa propriété.

Dès lors, selon les termes de l’article 8 du projet de bail, la Commune déduirait de la valeur du tréfonds des coûts d’emprunt liés au financement de travaux et constructions dont l’emphytéote est propriétaire.




En d’autres termes, la Commune vendrait le tréfonds tout en remboursant à la société anonyme « H » le coût d’un emprunt finançant des biens propres à la S.A. « H ».


Il n’appartient pas à une autorité communale de rembourser un emprunt contracté par une société privée, et cette condition lèse non seulement les finances communales mais constitue également une aide indirecte accordée à une entreprise.


D’autre part, l’octroi de ce droit de préemption n’est pas déterminé dans le temps et, en l’état, la société anonyme « H » bénéficie de ce droit de manière indéterminée et ce, même après l’extinction du bail emphytéotique.


L’article 16 du projet de bail prévoit qu’en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, l’emphytéote conserve un droit de recours contre le bailleur afin de dédommager son préjudice après déduction de l’indemnité allouée à l’emphytéote par l’autorité expropriante.


Il n’appartient pas au bailleur d’indemniser un emphytéote en cas d’expropriation mais bien au pouvoir expropriant. Une telle clause entraine une insécurité financière pour la Commune.



Enfin, le projet de bail comporte une déclaration pro fisco mentionnant que l’emphytéote a la forme d’une asbl et demandent dès lors l’application de l’article 83, 3° du Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe.
Or, l’emphytéote n’est pas une asbl mais la société anonyme « H ».



Deuxièmement, concernant l’égalité de traitement.

La décision du conseil communal d’Uccle vise, au travers d’un appel à projets, la concession d’un droit réel, en l’occurrence, d’une emphytéose à laquelle ne s’applique pas la réglementation sur les marchés publics.

Selon la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, un tel type de concession doit nécessairement être accordé dans le respect des « principes généraux de l’égalité de traitement, de la non-discrimination et de la transparence », tels que prévu par les articles 10 et 11 de la Constitution.

Le Conseil d’Etat rappelle dans son arrêt n°246.645 que le principe de transparence qui se déduit du principe d’égalité de traitement, impose que le classement réalisé par l’Autorité après l’examen des candidatures, ait lieu sur la base de critères qui ont été annoncés avant le dépôt de celles-ci.
L’objectif ainsi poursuivi est de permettre aux candidats souhaitant obtenir l’avantage d’être parfaitement informés des critères et des modalités d’appréciation qui seront appliqués dans le cadre de l’examen des candidatures.



A fortiori, les conditions prévues par l’Autorité avant le dépôt des projets ne peuvent également pas faire l’objet de modifications postérieurement à la désignation du projet gagnant, sous peine de rompre l’égalité de traitement entre les candidats.


Comme déjà mentionné, le bail emphytéotique conclu entre la commune d’Uccle et la société anonyme « H » comporte des conditions nouvelles à celles qui avaient été initialement fixées par la décision du conseil communal du 10 septembre 2019 fixant les conditions de l’appel à projet et ces conditions sont de nature à favoriser la société anonyme « H » au détriment de la commune.



La commune d’Uccle peut cependant introduire, dans un délai de soixante jours prenant cours le jour de la notification de la décision, un recours en annulation contre cette décision, éventuellement précédé ou accompagné d’un recours en suspension, auprès de la section d’administration du Conseil d’Etat.

En conclusion, la délibération du conseil communal d’Uccle approuvant les conditions du bail emphytéotique entre la Commune d’Uccle et la société anonyme « H » a été annulée car les conditions du bail emphytéotique ainsi que le non-respect des principes généraux d’égalité de traitement sont contraires au principe de bonne gestion, violent la loi et lèsent l’intérêt général.



La qualité du projet soumis par le théâtre Le Public n’est donc pas mise en cause et aucun message particulier n’est envoyé aux institutions culturelles. Il s’agit, en tant que Ministre des Pouvoirs locaux, de m’assurer qu’aucune institution culturelle ne soit lésée par le non-respect constaté dans le cas d’espèce des principe généraux d’égalité de traitement consacrés par la Constitution.



Enfin, pour ce qui est des échanges avec la commune d’Uccle et plus particulièrement avec le conseiller communal qui a introduit l’unique recours, je confirme que sa plainte a fait l’objet de l’envoi d’un accusé de réception après réception ainsi que d’une réponse après la décision d’annulation de l’acte du conseil communal d’Uccle.

Des pièces relatives au dossier, et n’ayant pas été transmises à la tutelle lors de l’envoi de la délibération, ont été demandées à la commune d’Uccle qui les a, par la suite, fournies à la tutelle.