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Question écrite concernant les conséquences de la crise énergétique sur l'augmentation de la prostitution

de
Latifa Aït Baala
à
Rudi Vervoort, Ministre-Président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé du Développement territorial et de la Rénovation urbaine, du Tourisme, de la Promotion de l'Image de Bruxelles et du Biculturel d'intérêt régional (question n°922)

 
Date de réception: 30/09/2022 Date de publication: 01/12/2022
Législature: 19/24 Session: 22/23 Date de réponse: 30/11/2022
 
Date Intitulé de l'acte de Référence page
12/10/2022 Recevable
 
Question   

Récemment, la presse a relayé les préoccupations du responsable de l'Union des Travailleurs (et Travailleuses) du Sexe Organisé(e)s pour l'Indépendance (Utsopi), inquiet des conséquences de la crise énergétique pour le secteur, et indiquait que lors de chaque crise, le nombre de travailleuses du sexe augmente. Ce sont en effet essentiellement les femmes qui pratiquent cette activité. Le secteur de la prostitution en Belgique étant constitué à 95% de femmes1

Les conséquences économiques de la crise énergétique, accumulées aux nombreuses difficultés que connait notre région en termes de fractures sociales, d'augmentation de la pauvreté, ne doivent pas conduire à une augmentation de la prostitution alimentaire des personnes en situation de précarité.

Dès lors, j’aurais souhaité vous poser les questions suivantes :

  • De quelles données disposez-vous en ce qui concerne la prostitution au sein de la Région de Bruxelles-Capitale ? Pourriez-vous les ventiler en fonction du genre ?

  • Disposez-vous d’indicateurs qui indiqueraient une augmentation de la prostitution, et de la prostitution des femmes et des jeunes filles, au sein de notre région ? 

  • Quelles sont les mesures mises en place afin d’éviter que les femmes et les jeunes filles, en situation de précarité, ne tombent dans la prostitution pour subvenir à leurs besoins ? Très concrètement, quelles sont les mesures déployées en matière de prévention ?

  • S’agissant d’une problématique transversale, une coordination a-t-elle été mise en place entre vos cabinets ?

  • Enfin, quelles sont les mesures prévues pour encadrer la prostitution et protéger les travailleuses du sexe des conséquences de la crise énergétique ? Une concertation a-t-elle eue lieu avec le secteur associatif ?

 

 
 
Réponse    J’ai l’honneur de vous adresser les éléments de réponse suivants :

De quelles données disposez-vous en ce qui concerne la prostitution au sein de la Région de Bruxelles-Capitale ? Pourriez-vous les ventiler en fonction du genre ?

L’offre des services sexuels peut prendre différentes formes : une forme visible avec la prostitution en vitrine ou dans la rue; des services sexuels non affichés publiquement (salons de massage, saunas, etc.), et une prostitution « privée » (que l’on appelle escorte) (Airbnb, logements de location, hôtels, etc.) qui prend de plus en plus d’ampleur en Région bruxelloise depuis le confinement (mars 2020), avec la fermeture des bars et des vitrines. Elle peut parfois s’apparenter à de la traite des êtres humains. Safe dispose de quelques éléments chiffrés sur ce type de prostitution (cfr ci-dessous).


En revanche, Safe ne dispose pas de données chiffrées sur la prostitution dite « classique » – càd celle résultant d’un choix individuel et celle exercée sous la contrainte économique. Néanmoins la réforme adoptée au Fédéral à l’initiative du ministre de la Justice devrait permettre aux autorités d’avoir d’ici quelques mois une meilleure image des travailleurs du sexe exerçant une activité déclarée.


Pour la prostitution forcée s’apparentant à la traite des êtres humains, les autorités ont une connaissance chiffrée du phénomène uniquement via les relevés d’infractions ; on ne peut donc pas exclure l’existence d’un chiffre noir en la matière.


Concernant les infractions liées à la traite et trafic des êtres humains, 64 faits ont été enregistrés par la police en Région bruxelloise en 2021 dont 24 en matière d’exploitation sexuelle. On note une diminution du nombre de faits d’exploitation sexuelle entre 2020 et 2021 (-14%), mais, tout comme en 2020, les mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire ont caché davantage encore l’exploitation. Les faits enregistrés à Bruxelles représentent 16% des faits enregistrés à un niveau national.


59 affaires liées à l’exploitation sexuelle sont entrées au Parquet correctionnel de Bruxelles en 2021, ce qui représente 28% des affaires entrées dans les parquets belges.

À un niveau national, l’asbl Child Focus est confrontée à une hausse importante des dossiers d’exploitation sexuelle de mineurs depuis le début de la crise sanitaire (2.467 dossiers en 2021, +49% par rapport à 2019). En détails, en 2021, Child Focus a reçu 57 nouveaux dossiers d’exploitation sexuelle de mineurs (dont 37 relatifs à des proxénètes d’adolescents).

Parallèlement à la poursuite des auteurs, les victimes sont prises en charge par des centres spécialisés comme l’asbl Pag-asa à Bruxelles pour les victimes majeures. Ce centre a pris en charge 59 nouvelles victimes en 2021 dont 13 (soit 1 victime sur 5) ont subi de l’exploitation sexuelle. La majorité de ces victimes (11 sur 13) sont des femmes.


Plus spécifiquement, en ce qui concerne la prostitution estudiantine, quasiment invisible dans l’espace public, le sociologue Renaud Maes (ULB) observe une augmentation du nombre d’inscriptions de jeunes filles âgées de 18-27 ans sur les sites de
sugar dating depuis le début de la crise énergétique. Toutefois, il est très difficile d’objectiver son ampleur. Notons qu’un tiers de la prostitution estudiantine est de la prostitution masculine (majoritairement homosexuelle).


Par contre, comme le professeur Maes le souligne également, toutes les études tendent à montrer que l’entrée en prostitution est bien motivée par un manque d’argent momentané (nécessité de rembourser une dette rapidement par exemple). Il ajoute qu’un autre facteur entre aussi en ligne de compte à savoir l’isolement social. En effet, ce sont souvent des personnes qui sont dans l’incapacité de dire à leurs proches qu’elles sont dans une situation précaire. De plus, elles ont une souvent une méconnaissance des aides existantes. Le plan d’action régional prostitution en cours d’élaboration s’attachera aussi à cette problématique. Des groupes de travail sont mis en place et les services qui dépendent de mon collègue Alain Maron y seront associés.

La prostitution visible est exercée plutôt par des travailleurs/travailleuses du sexe et des proxénètes dans les « quartiers rouges » de Bruxelles situés dans la rue d’Aarschot (territoire de Schaerbeek) et dans le quartier des carrées situé dans et autour des rue Linné et rue des Plantes, sur la limite entre la commune de Schaerbeek et Saint-Josse-ten-Noode. Dans le premier, des femmes d’Europe centrale et orientale travaillent dans des vitrines commerciales. Dans le second, travaillent une majorité de femmes d’origine subsaharienne de tous âges aux côtés de quelques femmes, belges et françaises, âgées de plus de 60ans. Elles louent officiellement les locaux qui se trouvent dans une zone résidentielle. En 2018, le nombre de prostituées était estimé à 150 femmes.

Disposez-vous d’indicateurs qui indiqueraient une augmentation de la prostitution, et de la prostitution des femmes et des jeunes filles, au sein de notre région ?

Un des indicateurs qui permet de rendre compte de l’augmentation de la prostitution est l’évolution à la hausse du nombre d’inscriptions sur différents sites internet ou applications spécifiques (comme des sites de
sugar dating, le site « quartier rouge », l’application « fruitz », etc.) mais nous ne possédons pas de chiffres plus précis. Par ailleurs, comme écrit supra, la réforme adoptée au Fédéral (dépénalisation et attribution d’un véritable statut) devrait permettre à l’avenir d’avoir une meilleure idée du nombre de travailleurs du sexe déclarés.


S’agissant d’une problématique transversale, une coordination a-t-elle été mise en place entre vos cabinets ?

Safe.brussels travaille actuellement à l’élaboration d’un plan d’action régional prostitution. Les travaux sont basés sur des groupes de travail réunissant différents acteurs de terrain afin d’englober la problématique sous ses différents angles. Dans ce contexte, il y a évidemment des échanges avec les membres du Gouvernement afin de pouvoir inviter les différents services et administrations pertinents aux groupes de travail.


Quelles sont les mesures mises en place afin d’éviter que les femmes et les jeunes filles, en situation de précarité, ne tombent dans la prostitution pour subvenir à leurs besoins ? Très concrètement, quelles sont les mesures déployées en matière de prévention ? Enfin, quelles sont les mesures prévues pour encadrer la prostitution et protéger les travailleuses du sexe des conséquences de la crise énergétique ? Une concertation a-t-elle eue lieu avec le secteur associatif ?

Le Plan global de Sécurité et de Prévention 2021-2024 comprend la mission transversale suivante : « Assurer la coordination des acteurs de la prévention, de la sécurité et du secours (prévention, gestion de crise et maintien de l’ordre public) et développer l’approche administrative de la criminalité organisée ». Dans le cadre de cette mission transversale, il est prévu l’élaboration d’un plan d’action régional prostitution. Ce plan d’action, dont l’élaboration est prévue durant la période d’application du PGSP 2021-2024, est destiné à mettre en œuvre un mécanisme de coordination intercommunal et à contribuer à harmoniser les approches en matière de prostitution en Région de Bruxelles-Capitale. Il doit avoir pour objectifs spécifiques d’améliorer la détection des victimes d’exploitation sexuelle, mais également de renforcer l’accompagnement de celles-ci ou des personnes qui souhaiteraient quitter le système prostitutionnel. Ce plan d’action nécessitera une collaboration étroite avec les communes et les zones de police bruxelloises ainsi que le Parquet et le secteur associatif spécialisé. Il vise à titre principal les mesures 4.2, 4.3, 4.6, 4.7, 4.8 et 4.9 du PGSP.

Six groupes de travail relatifs à ce plan, organisés autour d’objectifs et de sous-objectifs, auxquels ont été invités les acteurs de la prévention et de la sécurité qui traitent le phénomène, sont organisés depuis octobre 2022 jusqu’à la fin d’année :



Dans ce contexte, il est évident que la problématique du non recours aux droits sociaux, etc. devra être abordée en partenariat avec mon collègue Alain Maron. C’est du reste la même chose avec les questions liées à la santé de manière générale.

Deux projets de l’ASBL Pag-ASA sont en outre subventionnés dans le cadre de l’appel à projets que safe.brussels a adressé au secteur associatif :


- Le premier projet a notamment permis d’améliorer l’accueil des victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle en améliorant l’information fournie au public, aux victimes (potentielles) et aux professionnels (à la fois des informations générales sur la traite des êtres humains, ainsi que des informations spécifiques sur la reconnaissance des signaux et les mesures qui peuvent être prises) ; ceci comprend un volet formation, un volet communication et la production d’une étude et analyse des bonnes pratiques en matière de lutte contre la traite. Une « semaine contre la traite » a notamment été organisée entre le 17 et le 21 octobre 2022.


- Le second projet vise à accompagner la police et les services d’inspection lors des actions de contrôle et à être présent plus rapidement dans la procédure de façon à pouvoir directement assister les victimes de traite des êtres humains et mieux les orienter.
Dans la mesure où le phénomène est polymorphe (prostitution, toxicomanie, violences sexuelles...), d’autres ASBL financées méritent également d’être mentionnées. Nous pensons par exemple au financement octroyé antérieurement à l’ASBL SOS viol qui œuvre à renforcer la visibilité de l’aide aux victimes de violences sexuelles ou encore à l’ASBL Transit qui s’attache à l’accompagnement des usagers de drogues et s’investit dans la formation des acteurs de terrain. Cette action est également renforcée par le projet de l’ASBL LAMA dont l’équipe unique en Belgique et à Bruxelles, composée de médiateurs culturels et de travailleurs sociaux est capable d’intervenir dans les langues des communautés aidées (arabe, russe, polonais, amharique, anglais…), accompagne des usagers de drogues en situation irrégulière sur le territoire.

- Le subventionnement octroyé par la Région dans le cadre du précédent Plan bruxellois de Prévention et de Proximité (2016-2021) a également permis de répondre au phénomène en assurant une présence visible et rassurante dans les espaces publics, en assurant de la médiation des conflits dans les espaces publics ou encore veillant à prévenir et lutter contre les assuétudes et les incidences qu’elles occasionnent sur les espaces publics par des actions concrètes et proactives menées sur le terrain par des acteurs locaux (Gardiens de la paix, agents de prévention polyvalents, éducateurs de rue, travailleurs sociaux, etc.).


- La Région subventionne en outre partiellement les frais de fonctionnement des zones de police, en ce compris dans l’objectif d’assurer la mise en œuvre de projets locaux dans le cadre des mesures du Plan global de Sécurité et de Prévention qui visent à harmoniser les approches en matière de prostitution sur l’espace public. Ceci comprend le suivi du phénomène de prostitution de rue par l’autorité administrative et la police de proximité.

- La Commune de Schaerbeek est candidate, dans le cadre de l’appel à projets LISA 2022, à l’implémentation d’une antenne de sécurité intégrée au niveau local (LISA) dans le quartier nord. Ce projet a notamment pour objectif de répondre au phénomène prostitutionnel dans ce quartier (lieu de rencontre pour les acteurs concernés par le phénomène ; mise en place d’un plan de gestion de la prostitution ; lutte contre les nuisances sociales liées à l’activité prostitutionnelle ; communication et sensibilisation ; accompagnement ; etc.).


- Safe.brussels suit en outre le projet WEB-IQ dans le cadre de la mise en place du Centre de cybersécurité régional en partenariat avec la PJF et la police de Bruxelles-Ixelles.

« Un phénomène qui se répand depuis le confinement: la prostitution envahit les logements privés en Région bruxelloise », La Capitale, 22 avril 2022.
« A cause du prix de l’énergie - La prostitution des étudiants en hausse à Bruxelles ! », La Capitale, 14 octobre 2022, n°278, pp.4
Adeyinka S., Samyn, S., Zemni, S., Derluyn, I., (2019),
SWIPSER – Etude ethnographique sur la prostitution des femmes subsahariennes à Schaerbeek, Gand : Université de Gand
« A cause du prix de l’énergie - La prostitution des étudiants en hausse à Bruxelles ! », La Capitale, 14 octobre 2022, n°278, pp.4
« Un phénomène qui se répand depuis le confinement: la prostitution envahit les logements privés en Région bruxelloise », La Capitale, 22 april 2022.
« A cause du prix de l’énergie - La prostitution des étudiants en hausse à Bruxelles ! », La Capitale, 14 oktober 2022, nr. 278, blz.4
Adeyinka S., Samyn, S., Zemni, S., Derluyn, I., (2019),
SWIPSER – Etude ethnographique sur la prostitution des femmes subsahariennes à Schaerbeek, Gent: Universiteit Gent
« A cause du prix de l’énergie - La prostitution des étudiants en hausse à Bruxelles ! », La Capitale, 14 oktober 2022, nr. 278, blz.4