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Question écrite concernant l’interdiction des voitures thermiques

de
Marc-Jean Ghyssels
à
Alain Maron, Ministre du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale chargé de la Transition climatique, de l'Environnement, de l'Énergie et de la Démocratie participative (question n°1538)

 
Date de réception: 07/09/2023 Date de publication: 07/11/2023
Législature: 19/24 Session: 23/24 Date de réponse: 25/10/2023
 
Date Intitulé de l'acte de Référence page
25/09/2023 Recevable Bureau élargi du Parlement
 
Question    Le 19 juin dernier était publié un rapport de la Cour des comptes européenne sur l'interdiction des voitures thermiques programmée au niveau européen à l'année 2035. L'électrification du parc de véhicules se heurte en effet à plusieurs difficultés. Le rapport met en exergue trois freins majeurs au succès de cette réforme d'ampleur.   

Le premier frein repose sur la difficulté croissante d'accès aux matières premières, pour des raisons géopolitiques mais aussi physiques. Les ressources naturelles s'épuisent chaque année et il est probable que les pays qui détiennent les ressources privilégient dans le futur leur production nationale avant l’exportation vers des pays tiers.   

Si l’on prend les cinq matières premières essentielles à la production de batteries électriques que sont le cobalt, le nickel, le lithium, le manganèse et le graphite naturel, l'Union européenne est dépendante à 78 % des importations de pays étrangers, principalement l'Australie, la République démocratique du Congo et la Chine.  

L'augmentation des coûts attendue, provoquée par l’amoindrissement des ressources et la hausse de la demande, constitue le second frein.  

Enfin, la concurrence mondiale faite à l'Union européenne par la Chine et les États-Unis constitue le dernier obstacle. Actuellement, l'Union européenne représente 7 % de la production mondiale de batteries électriques, contre 76 % pour la Chine.    

Sans revenir sur les compétences qui relèvent de l'Union européenne, la Région bruxelloise ambitionne d'installer 22.000 points de recharge électrique d’ici 2035. Selon le rapport de la Cour des comptes européenne, la prolifération d'usines de batteries électriques sur le territoire européen ne suffira pas à répondre aux objectifs fixés.  

Cette question est centrale d'abord pour les citoyens auxquels des efforts considérables seront demandés. Ensuite, sur le plan écologique, la décarbonation de l'économie constitue un enjeu majeur. Enfin, sur le plan géopolitique, il est essentiel comme nous l'a prouvé la guerre en Ukraine, d'éviter toute situation de dépendance à l'égard de pays hors de l'Union européenne.   

  • Avez-vous pris connaissance de ce rapport ? Quelles conclusions en tirez-vous ?    

  • Comment se décline la préparation en amont de cette réforme structurante ?     

  • Comment les freins soulignés par la Cour des comptes européenne sont intégrés dans votre réflexion ?      

  • Comment avance la mise en œuvre des points de recharge électrique ?     

  • Vous préparez-vous à l'éventualité d'un report de cette réforme ? 

 

 
 
Réponse    1.
Il y a quelques mois, la Cour des Comptes européenne a évalué, dans son rapport spécial 15/2023, la politique industrielle de l'UE en matière de batteries.

Dans ce cadre, la pertinence du plan d’action de la Commission Européenne de 2018 visant à faire de l’Europe un chef de file mondial de la production et de l’utilisation de batteries durables, ainsi que la mise en œuvre de ce plan et les résultats obtenus à ce jour sont notamment abordés. La Cour formule également des recommandations en vue de donner un nouvel élan stratégique au soutien de la chaîne de valeur des batteries dans l’Union.


Dans sa conclusion, la Cour conclut que « 
malgré des insuffisances en matière de suivi, de coordination et de ciblage, et bien que l’accès aux matières premières reste un défi stratégique majeur pour la chaîne de valeur des batteries dans l’Union, la promotion par la Commission d’une politique industrielle de l’UE en matière de batteries a été globalement efficace. ».

Néanmoins, la Cour constate que « 
le plan d’action de 2018 ne prévoyait pas de valeurs cibles quantifiées assorties d’échéances, et la Commission n’a pas estimé le niveau de production de batteries à atteindre par l’UE pour réaliser le double objectif de neutralité climatique et de maintien d’un secteur automobile compétitif ». La Cour estime que « ces lacunes augmentent le risque que l’objectif «zéro émission » que s’est fixé la Commission pour 2035 ne soit pas atteint à cause d’une production insuffisante de batteries, ou qu’il le soit moyennant l’importation de batteries ou de véhicules électriques, au détriment de la chaîne de valeur des batteries dans l’Union et des emplois du secteur. En outre, l’incertitude quant à la sécurité de l’approvisionnement en matières premières nécessaire au maintien de la production dans l’UE s’en trouve accrue. »



Sur base de cet audit, la Cour recommande à la Commission :
·
« de mettre à jour le plan d’action stratégique pour les batteries en accordant une attention particulière à la sécurisation de l’accès aux matières premières;
· de renforcer le suivi au moyen de données régulières, actualisées et complètes;
· d’améliorer la vue d’ensemble des financements de l’UE en faveur de la chaîne de valeur des batteries;
· d’améliorer la coordination et le ciblage des financements de l’UE en faveur de la chaîne de valeur des batteries;
· de veiller à ce que tous les participants à des projets importants d’intérêt européen commun concernant les batteries disposent d’un accès équitable au soutien financier public. »

Sur cette base, il est évident que des efforts significatifs sont mis en place par la Commission européenne pour atteindre ses objectifs en matière de décarbonation du transport. Les analyses réalisées par la Cour des Comptes Européenne sont néanmoins très pertinentes pour l’aider à améliorer cette politique, et démontrent que cet enjeu restera au cœur de la politique industrielle européenne au cours des années à venir.

En parallèle, il est également intéressant de lire le récent rapport de Transport & Environnement intitulé « Clean and lean Battery metals demand from electrifying passenger transport », également publié il y a quelques mois, qui conclut notamment que « 
L’électrification du transport de passagers est essentielle pour le climat, mais elle ne doit pas nécessairement détruire la planète. Garantir que les métaux proviennent autant que possible de sources responsables et récupérés à partir de produits anciens, tout en mettant en place des mesures visant à réduire la taille des voitures et à modifier notre façon de nous déplacer, rendra la transformation véritablement durable et respectueuse des ressources. »


Cette étude est cruciale et met en évidence qu’il est possible de limiter les ressources nécessaires pour électrifier le secteur du transport et donc de limiter cette éventuelle dépendance aux pays producteurs de minerais, en passant par deux axes :
- Diminuer l’usage et la possession de véhicules individuels - via la marche, le vélo, les transports collectifs, ou encore les systèmes de partage de véhicule - permettra de diminuer le besoin de ces matières premières ;
- Promouvoir des véhicules électriques petits et légers pour lesquels les besoins en matière première seront moindre.

Enfin, le développement des filières de recyclage est également essentiel. Nous devons garder tout ceci à l’esprit lorsque nous menons nos politiques au niveau européen, belge et bruxellois.

2.
Bruxelles, comme capitale de l’Europe, prend les objectifs du Green Deal très au sérieux et met en place une politique proactive en matière de décarbonation du transport. Ainsi, outre nos mesures de report modal (investissements dans les transports en commun, les modes actifs, l’autopartage, etc), notre ville a pris les devant notamment en :

- Adoptant le calendrier 2025 – 2036 de sa LEZ, qui donne une vision claire aux acteurs bruxellois vers la décarbonation du transport ;
- Adoptant sa feuille de route « Low Emission Mobility », qui contient de nombreuses mesures d’accompagnement visant à rendre cette transition juste pour toutes et tous ;
- Adoptant son plan « Electrify.brussels », qui prévoit de déployer progressivement 22.000 points de recharge accessibles au public (en voirie et hors-voirie) dans la capitale.



Ce faisant, notre Région sera prête pour l’ambition « zero-émission » européenne (déploiement des infrastructures de recharge, accompagnement de différents publics cibles,…), et se profile comme de nombreuses autres villes européennes comme une pionnière en la matière. Ceci a d’ailleurs un impact positif sur la qualité de l’air à Bruxelles.

L’enjeu de la réduction des ressources nécessaires et de notre dépendance à d’autres pays/régions (que ce soit pour le pétrole ou les minéraux) peut aussi être abordé sous l’angle de la mise en place du plan Good Move, qui permettra notamment de limiter la possession et l’usage de la voiture, mais aussi d’encourager l’émergence de véhicules plus petits, plus légers et mieux adaptés aux réalités urbaines.



Le plan régional air-climat-énergie, adopté récemment, prévoit également de développer des mesures qui visent à privilégier des véhicules électriques légers, permettant de facto de limiter aussi les besoins pour la fabrication de la batterie mais également avoir des véhicules plus efficient d’un point de vue énergétique. Il s’agit par exemple d’inclure dans le futur le paramètre du poids du véhicule dans la fiscalité (voitures de société et taxes de circulation).
3.
Comme indiqué plus haut, de nombreuses mesures et réflexions visant à répondre à ces freins sont inclues dans les politiques et mesures bruxelloises.

4.
La mise en œuvre de la stratégie « Electrify.brussels » avance à grands pas.

Alors que 400 points de recharge étaient accessibles au public en 2019, nous approchons aujourd’hui des 4.000 points accessibles en voirie et hors voirie. Dans ce réseau, une partie (2.500 points de recharge d’ici le début de l’année prochaine) est directement installée dans nos rues, tandis que l’autre est installée dans des parkings ouverts au public.


Selon les modèles, chaque bruxellois se trouvera donc à moins de 150 mètres d’un point de recharge d’ici la fin de l’année. L’an prochain, plus de 1.200 points de recharge supplémentaires seront d’ailleurs installés en voirie, et permettront de resserrer encore ce maillage.

Ce déploiement avance tel que planifié et permet actuellement de répondre à la demande identifiée à Bruxelles.

5.
Aucun report de cette transition n’est envisagée à ce stade, mais ces questions sont suivies de près.

Vu l’urgence climatique et l’impact du secteur du transport sur la qualité de l’air, il serait néanmoins justifié et bienvenu de se préparer à une accélération de cette transition vers une mobilité plus durable (et en particulier du report modal) plutôt que l’inverse.